¤ POCKET MONEY EXTRA CASH

Sur un toit parmi les bâtiments, j’ouvre une banque centrale à taux zéro, je fais face aux laveurs de carreaux, aux femmes de ménage, à celles et ceux qui quittent le bureau. Je fais des allers et retours entre les vides qui m’entourent et je dégaine billet sur billet comme une Cowgirl la sensation instable de mon argent précarisé. 

Pocket Money Extra Cash, est une performance durant laquelle j’exploite matériellement une quarantaine de billets de 20€ empruntés auprès de plusieurs personnes.
L’argent se retrouve “suspendu de l’économie mondiale” pour un temps et la valeur de cette monnaie n’existe plus que dans un état purement physique et matériel : les billets deviennent de minuscules drapeaux, je leur crache dessus, je les manipule, ce sont des pailles à cocaïne passant d’une poche à l’autre de mon jean, des boules de papier froissées. L’argent est ici rejoué, considéré avant tout comme un signe de confiance, un contrat tacite passé entre moi et les participants. À la fin de la performance, chaque billet est rendu à son propriétaire portant les marques de son utilisation. 

Moi j’ai rien vu, je vous l’ai déjà dit. Je ne sais pas ce qui s’est passé cette nuit-là. Je suis prête à mettre en gage tout ce qui passe entre mes mains en tant qu’unique garantie. Prête à courir, en m’acquittant de ce que je suis chargé de faire. De toute façon qu’est ce que je pourrais bien en faire de tout ça moi, puisque de l’argent il y en a, mais celui-ci n’est tout simplement pas le mien. L’argent ne nous appartient jamais. Il y a bien des promesses que j’ai dû faire pour en arriver là et je vais devoir les tenir jusqu’au bout afin de leur donner du crédit. Ce n’est peut-être pas l’amour qui remplacera l’argent, mais c’est sûrement la confiance. L’argent c’est le substitut de la confiance des êtres les uns envers les autres et on peut pas dire que dans notre société j’estime payer le juste prix en comparaison de ce que je dois payer pour le gagner. Moi je n’ai pas de prix de toute façon et c’est comme ça que je garde ma valeur. Il n’y a rien à dépenser là-dedans, que l’honneur des contrats qui compte d’autant plus que l’argent fonctionne comme une assurance. L’assurance que tel bout de papier vaut pour certaines quantités de biens, et l’assurance que ce bout de papier vaut la même chose qu’un autre bout de papier de même unité. Simplement parce que la personne qui donne elle-même est assurée en retour de disposer gracieusement et partout de la même faveur. Moi je prends cet argent et puis je le redonne à taux zéro, sans faveur. Je le fais disparaître le temps de quelques instants passés avec moi. Même si le problème de l’assurance reste le même quand il y en a plus d’argent tout à coup pour assurer la fin du mois. Alors soit on apprend à le compter ou on apprend à devoir faire sans, à nous déprendre, nous en passer, au maximum, de l’argent ou tout au moins, tant qu’il existe va falloir réussir à s’en passer. Et ce qui a de plus dégeulasse c’est que son existence tient dans sa plus grande abstraction, là où on le trouve dans son aspect le plus fictif, ou sans être dépensé devient par sa simple disposition la plus grande puissance de contrôle sur nos vies. Tu veux construire quelque chose ? Tu veux voyager ? Tu veux expérimenter ? Tu veux faire ton film ? Tu veux aider quelqu’un ? Tu veux faire quelque chose de gratuit ? J’ai ici tout ce qu’il te faut, pour réaliser, pour te réaliser dans tout ça, va d’abord falloir passer entre mes mains. À moi, le pouvoir de direction et d’orientation du monde. Il va falloir que tu passes le crible de mes standards, formuler tes projets pour qu’ils entrent dans mes attentes qu’il passe par toute une série de contrôles, d’approbation, de révisions et de corrections jusqu’à ce que ton projet ne soit plus que l’épitaphe, ironique, de ce que je t’ai déjà volé.
L’argent me va si mal tout compte fait. 

Texte de la voix off pour la performance