¤ JUPILER

Elle ouvrit la porte et regarda la pluie dure et lourde, semblable à un rideau d’acier, et elle eut soudain envie de se jeter dans la pluie, de sortir, de fuir. Elle se leva et se mit vivement à retirer ses bas, puis sa robe et ses dessous. Il retint sous souffle. Ses seins effilés et aigus d’animal pointaient et bougeaient à chacun de ses mouvements. Elle avait une couleur d’ivoire dans la lumière un peu verte. Elle remit ses chaussures de caoutchouc et s’élança dehors avec un petit rire sauvage, et les seins présentés à la lourde pluie, les bras écartés, elle se mit à courir de-ci de-là, indistincte dans la pluie, exécutant les mouvements de danse rythmique qu’elle avait appris il y avait si longtemps à Dresde. C’était une étrange silhouette pâle qui s’élevait et retombait, se penchant en sorte que la pluie venait frapper en reflets luisants les hanches pleines, se redressant et s’avançant, le ventre en avant, à travers la pluie, puis s’inclinant de nouveau en sorte que seuls ses fesses et ses reins, pleinement offerts, se tendaient vers lui en une sorte d’hommage, en un rite sauvage d’obédience.

Extrait du roman de D.H Lawrence l’amant de Lady Chatterley, 1928.

En 1928, la publication du livre L’Amant de Lady Chatterley est interdite en raison des scènes et de son vocabulaire jugé obscène. Jupiler en est l’adaptation contemporaine. La reconstitution de ce passage littéraire est traduit dans un environnement et un contexte réel interrogeant le caractère originel du livre et ses répercussions morales et sociales. Avec ses interventions, je considère ici la nudité comme une arme, autant comme celle qui m’expose que celle qui me protège; gardienne du lieu principal de mon exutoire. Je cherche un moyen d’entrer en résistance par la présence de mon corps nu au milieu de la foule; en venant troubler scandaleusement l’ordre dans la nuit.

Les super pouvoirs de mon corps, pleinement offert en sorte d’hommage, au son du rite sauvage d’une désobéissance nue.

Jupiler 1 - Julia Droga
Jupiler 2 - Julia Droga
Jupiler 3 - Julia Droga
Jupiler 4 - Julia Droga

Occuper l’espace public en tant que femme c’est déjà revendiquer sa présence, c’est faire le projet politique d’habiter un espace de relation qui questionne la violence de la relation. Pour les hommes, les espaces publics sont figurés comme “milieu naturel”. Pour moi, il n’était pas tant question d’avoir un “droit à la ville”, ce que je voulais c’était d’avoir un droit à la nuit. En revendiquant le droit à la vulgarité de ne pas être une fille rangée, avec son lot de provocation, ostensiblement agité, à en couper le souffle. Il faut conquérir la nuit en la défiant chaque soir pour tuer l’imaginaire collectif du danger et toutes les représentations qui confortent l’idée qui consiste à croire et à laisser croire que l’extérieur est notre lieu du danger.